Association : quelles obligations contractuelles en période de crise sanitaire ?

La crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 a fortement contribué à bouleverser les relations contractuelles existant au sein des associations, mais également entre les institutions sans but non lucratif (ISBL) et leurs partenaires financiers. Il importe donc de clarifier les différentes situations juridiques engendrées par ce nouveau contexte afin d’aider le secteur associatif à se relancer.

 

Si le Gouvernement a rapidement annoncé que la crise sanitaire devait être considérée comme un cas de force majeure pour les marchés publics et subventions[1], sa caractérisation est loin d’être évidente s’agissant des contrats de droit privé. Par conséquent, il convient de s’interroger dans un premier temps sur le fait de savoir si la pandémie actuelle peut ou non constituer un cas de force majeure afin, dans un second temps, de préciser les différentes incidences contractuelles pour les ISBL (associations, fondations, fonds de dotation) vis-à-vis de leurs membres, fournisseurs et/ou de leurs « usagers/bénéficiaires »[2].

 

COVID-19 : un cas de force majeure ?

Définition de la force majeure

C’est l’article 1218, alinéa 1er du code civil qui définit la force majeure en droit français : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. » Sur le plan pratique, cette disposition légale permet, lorsqu’une ISBL est empêchée d’exécuter ses obligations contractuelles, quelle que soit la forme du contrat conclu (bon de commande signé, devis accepté, contrat en bonne et due forme, etc.), de la libérer partiellement ou totalement de ses obligations et, ainsi, de faire obstacle à l’engagement de sa responsabilité pour inexécution.

Dans ces conditions, tout événement empêchant une ISBL d’exécuter ses obligations peut donc être qualifié de force majeure quand trois conditions sont cumulativement remplies :

  • l’extériorité : cela signifie que la cause invoquée ne doit pas être imputable au débiteur de l’obligation[3], le législateur, depuis la réforme du code civil de 2016, ayant retenu le critère plus large de l’événement « échappant au contrôle du débiteur » ;
  • l’imprévisibilité : les cocontractants ne pouvaient imaginer la survenance d’un tel événement au jour de la conclusion du contrat ;
  • l’irrésistibilité : les conséquences de l’événement rendent impossible l’exécution du contrat – et non pas simplement plus onéreuse ou plus compliquée[4] – temporairement ou définitivement, même en prenant des mesures appropriées. Dès lors, il n’y a pas de force majeure lorsqu’une prestation a seulement perdu de son intérêt pour son bénéficiaire du fait de la crise sanitaire ou s’il reste possible pour le prestataire d’exécuter l’obligation en question.

 

Quid de la position des tribunaux ?

Les conditions de la force majeure sont généralement appréciées de manière particulièrement stricte par les tribunaux. En effet, une étude approfondie de la jurisprudence montre que ces derniers n’ont que très rarement retenu la force majeure à l’occasion d’épidémies précédentes, le plus souvent en raison du caractère prévisible de l’événement[5] ! Cela étant, et même si rien ne permet d’affirmer que la position des juridictions est définitivement fixée, il semble que la situation de crise sanitaire actuelle fasse l’objet d’un traitement différent puisque, dans deux cas spécifiques déjà[6], le cas de force majeur a été retenu. En raison tout d’abord de la vitesse et du caractère létal de la propagation du virus, mais, au-delà de la maladie, c’est surtout l’ampleur et le caractère inédit des premières mesures gouvernementales (interdiction de déplacement et de rassemblement, mesures de fermeture des frontières pour certains pays) qui ont empêché la réalisation de très nombreuses activités associatives. Or, si ces mesures du Gouvernement apparentées au « fait du prince » ne peuvent « par nature » être qualifiées de force majeure, comme tout événement, elles pourront néanmoins entraîner cette qualification lorsque est réuni l’ensemble des critères légaux dont l’appréciation relève du pouvoir souverain des juges. À cet égard, l’appréciation du caractère d’imprévisibilité dépendant, en pratique, de la date de conclusion du contrat, il convient de rappeler certaines échéances[7] comme étant susceptibles de servir de référentiels aux ISBL et aux juges chargés de trancher des contentieux en la matière (v. tableau).


Il convient de préciser qu’en cas de litige, s’il appartient au juge d’apprécier au cas par cas si l’événement réunit cumulativement lesdites conditions, c’est bien au débiteur défaillant d’en rapporter la preuve. Or, les différentes dates (v. tableau) peuvent servir d’indicateurs même si le caractère imprévisible d’une mesure administrative peut varier sensiblement d’un secteur d’activité à l’autre, d’un contrat à l’autre.

 

À vos contrats !

Pour apprécier la force majeure, il reviendra de vérifier différentes mentions figurant dans les contrats conclus par l’ISBL :

  • les éléments de territorialité, c’est-à-dire le lieu d’exécution prévu de la prestation ;
  • la date de conclusion ou de renouvellement des contrats ou encore l’existence d’une éventuelle clause de tacite reconduction ;
  • l’existence ou non dans le contrat d’une clause de force majeure dans la mesure où les parties peuvent parfaitement décider que, même dans l’hypothèse de la survenance d’un cas de force majeure, les stipulations contractuelles doivent s’appliquer et notamment les frais et pénalités liés au dédit d’une partie[8] ;
  • si l’irrésistibilité présente un caractère partiel – le débiteur est empêché d’exécuter une partie des prestations – ou total ;
  • si l’impossibilité d’exécution présente un caractère temporaire – la prestation peut être reportée – ou définitif ;
  • s’il existe une clause de renégociation du contrat pour imprévision[9].

En tout état de cause, il est vraisemblable que l’attitude adoptée par le débiteur face à l’événement pour en prévenir les effets par des « mesures appropriées »[10] jouera un rôle décisif dans la qualification de force majeure. En effet, c’est manifestement autour de cette approche visée par l’article 1218 du code civil que devraient se cristalliser le cœur des contentieux et l’attention du juge.

 

Incidences contractuelles

Nombreuses sont les incidences contractuelles susceptibles d’être relevées pour les ISBL dans le contexte actuel de crise sanitaire.

Empêchement temporaire : suspension du contrat
L’article 1218, alinéa 2 du code civil indique que « si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. » En l’espèce, le juge appréciera s’il existe ou non une possibilité de mettre en œuvre des mesures appropriées pour éviter tout effet défavorable sur l’exécution d’un contrat – par exemple, le recours à d’autres ressources d’approvisionnement, la production sur d’autres sites, l’organisation d’un événement à une autre date. Dans le secteur de la culture et du sport, le législateur a pris, le 7 mai 2020, une ordonnance spécifique[11] afin d’aménager les conditions financières de certains contrats impactés par la crise sanitaire.

Empêchement définitif : résolution du contrat
En cas d’empêchement définitif, le contrat est résilié de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations[12] avec effet rétroactif. En d’autres termes, la partie – débiteur – qui peut se prémunir de la force majeure sera libérée de ses obligations et ne pourra pas être tenue responsable de son manquement contractuel. Aucuns dommages-intérêts ne seront dus au créancier – client. Toutefois, quand des acomptes ont été versés, ils doivent en principe être remboursés lorsque la prestation n’a pas été réalisée, sauf en cas de réalisation partielle exécutée au moins à hauteur de l’acompte versé ou si le contrat prévoit des conditions générales de vente permettant au prestataire de conserver les sommes d’ores et déjà versées même en cas de force majeure.

Exécution excessivement onéreuse : renégociation
Si les « mesures appropriées » prises par l’ISBL se révèlent être « excessivement onéreuses » pour contourner les consé- quences du Covid-19 ou lorsqu’elle ne peut invoquer un cas de force majeure, l’ISBL pourra toujours invoquer l’imprévision13 en cas de changement de circonstances et de déséquilibre significatif – dans les droits et obligations des parties – pour tenter une renégociation à l’amiable, voire par la voie judiciaire. Toutefois, le contrat initial ne devra pas avoir expressément écarté l’imprévision et les parties devront avoir poursuivi l’exécution de leurs obligations en respectant leurs obligations respectives de loyauté et de bonne foi.

Des solutions existent donc pour préserver ou tenter de relancer les activités des ISBL. Encore faut-il savoir correctement les identifier pour ensuite les mettre concrètement en application.

 

 

Colas AMBLARD, docteur en droit, avocat

 

En savoir plus : 

jurisassociations 626 – 15 octobre 2020

 

Références :

1 Déclaration du ministre de l’Économie et des Finances du 28 févr. 2020 ; circ. no 6166/SG du 6 mai 2020, JA 2020, no 620, p. 6, obs. E. Benazeth.
2 C. Amblard, La Gouvernance des entreprises associatives, Juris éditions – Dalloz, août 2019, n°s 259 et s., et n°s 475 et s. : « l’interdiction de la recherche du partage d’un éventuel profit permet une vision différente du concept de la “clientèle”, des “clients” assimilables beaucoup plus à des “usagers” ou des “bénéficiaires”, par analogie avec le service public, dont les associations se rapprochent dans un tel domaine ».
3 C. civ., art. 1148, anc.
4 Cass., ass. plén., 14 avr. 2006, no 02-11.168 : l’exécution est jugée impossible si le débiteur est lui-même victime de la maladie.
5 À propos du virus chikungunya, v. Basse-Terre, 17 déc. 2018, n° 17/00739 et CAA Douai, 28 janv. 2016, n° 15DA01345 ; du virus de la dengue, v. Nancy, 22 nov. 2010, n° 09/00003 ; ou encore de la grippe H1N1 de 2009, v. Besançon, 8 janv. 2014, n° 12/0229.
6 Colmar, 12 mars 2020, n° 20/01098 ; Paris, réf., 2 juill. 2020, n° 20/06689.
7 E. Flaicher-Maneval, C. Flatrès, « Difficultés d’exécution du contrat en raison de l’épidémie : les premiers contrôles à effectuer », BRDA 2020, no 11, p. 26 et s.
8 C. civ., art. 1122.
9 En application de l’article 1195 du code civil, ces clauses sont valables uniquement dans les contrats conclus ou renouvelés depuis le 1er oct. 2016 (v. BRDA 2020, n° 11, inf. 21, n°s 23 et s.).
10 Com. 16 mars 1999, n° 97-11.428 : en pratique, il est indispensable de s’assurer que les effets de l’événement constitutif d’un cas de force majeure ne pouvaient être évités en recourant à des alternatives permettant l’exécution de l’obligation.
11 Ord. n° 2020-538 du 7 mai 2020, JO du 8, JA 2020, n° 620, p. 10, obs. S. Zouag.
12 C. civ., art. 1218, al. 1er, art. 1229, al. 1er et 2 et art. 1351. 13. C. civ., art. 1195.