Dissolution administrative : une exception au principe de liberté d’association !

La dissolution d’une association peut être volontaire, judiciaire ou administrative[1]. Or, si la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République[2] a renforcé les possibilités du Gouvernement en matière de dissolution administrative, il est important de rappeler que c’est toujours la liberté d’association qui continue de prédominer dans l’ordre juridique français.

La liberté d’association a été promue au rang des principes fondamentaux reconnus par la loi de la République depuis une décision du Conseil constitutionnel en date du 16 juillet 1971[3]. Depuis lors, toute restriction apportée à cette liberté ne peut émaner que du législateur qui, récemment, a souhaité adapter le régime de dissolution administrative à un contexte qu’il juge nouveau.

Régime juridique applicable en matière de dissolution administrative

 

La liberté d’association, comme principe

La décision du 16 juillet 1971 – considérée comme l’une des plus importantes prises par le Conseil constitutionnel ces dernières années – consacre la liberté pour l’association de se développer et d’exercer librement l’activité qu’elle a choisie[4]. La liberté d’association est alors appréhendée comme une liberté « collective ». En effet, pour le Conseil constitutionnel, il s’agit avant tout de protéger la liberté des citoyens de s’exprimer – sous une forme collective organisée – contre toute atteinte arbitraire de la puissance publique.

La liberté d’association a également été consacrée dans l’ordre juridique européen par l’article 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Dès lors, elle fait désormais partie des principes fondamentaux protégés par la jurisprudence constante de la Cour de justice de communautés européennes – aujourd’hui devenue Cour de justice de l’Union européenne – tout en étant, par ailleurs, « réaffirmée par le préambule de l’Acte unique européen et par l’article F, paragraphe 2, du traité sur l’Union européenne »[5]. Ainsi, a pu être jugé sur le fondement de ces dispositions, notamment que la liberté d’association garantit « la possibilité pour les individus de partager leurs convictions ou leurs idées collectivement, en particulier dans le cadre d’associations d’individus ayant les mêmes convictions, idées ou intérêts »[6].

Dans l’ordre juridique international, la liberté d’association est reconnue par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966 dans son article 22 : « 1. Toute personne a le droit de s’associer librement avec d’autres, y compris le droit de constituer des syndicats et d’y adhérer pour la protection de ses intérêts. 2. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui. Le présent article n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l’exercice de ce droit par les membres des forces armées et de la police. »

Élevée au rang de principe « à valeur constitutionnelle » solennellement réaffirmé par le préambule de la Constitution[7], la liberté association empêche les autorités administratives de soumettre la constitution d’une association à un contrôle préalable, d’exercer leur tutelle ou des contraintes en dehors des limites imposées par la loi[8], ou encore d’édicter des mesures restrictives susceptibles d’entraîner des discriminations entre associations poursuivant un objet identique dans des conditions similaires[9].

 

Dissolution administrative, un cadre légal d’exception

La liberté d’association n’est toutefois pas absolue. Elle ne saurait être utilisée pour mettre en danger les institutions de l’État ou porter atteinte aux droits et libertés d’autrui. Ainsi, la dissolution administrative d’une association ayant pour but de détruire les idéaux et valeurs d’une société démocratique, si elle est une mesure radicale, correspond à « un besoin social impérieux » et poursuit un « but légitime »[10].

Dans ces situations, la dissolution d’une ou plusieurs associations peut résulter, soit d’une loi – tel est le cas, par exemple, pour l’association « Action Logement Groupe »[11] – soit d’un décret pris en conseil des ministres[12]. Cette dernière procédure a régulièrement été mise en œuvre par les derniers gouvernements successifs, notamment à l’encontre d’associations de hooligans, de groupes de combat, milices privées ou encore d’associations se livrant à des actes terroristes…

Les derniers exemples en date concernent la dissolution administrative de l’association « Génération identitaire », ce groupuscule à qui il avait été reproché de promouvoir « une idéologie provoquant à la haine, à la violence et à la discrimination des individus à raison de leur origine, de leur race ou de leur religion, et sur ce qu’elle employait dans sa communication comme dans son organisation, une symbolique et une rhétorique martiales, l’identifiant implicitement ou explicitement à une formation paramilitaire »[13]. Autre exemple en date, celui beaucoup plus controversé[14] du Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF), une association qui avait pourtant comme objet de combattre par les voies de droit les discriminations dont sont victimes les personnes musulmanes. Et dont, curieusement, on ne retrouve aucune trace de l’arrêt rendu à son encontre par le Conseil d’État le 24 septembre 2021. Ni sur Légifrance, ni sur le site du Conseil d’État[15]

La procédure de dissolution administrative doit être prononcée dans les cas strictement prévus par la loi et seulement dans ces hypothèses[16]. Or, c’est précisément sur ces « cas » que s’est récemment penché le législateur à l’occasion de la loi du 24 août 2021[17].

 

Apports de la loi du 24 août 2021

L’article 16 de la loi confortant le respect des principes de la République a apporté quelques précisions aux motifs de dissolution prévus à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure en remplaçant, notamment, la provocation aux « manifestations armées dans la rue », par celle concernant les « manifestations armées » ou « agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ». Il en est de même, s’agissant des associations ou groupements de fait ayant « pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire ou d’attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement », avec des dispositions qui, désormais, ne concernent pas uniquement leur « objet » mais également leur « action ».

Dans cet objectif, la loi du 24 août 2021 permet aussi de dissoudre une association à raison des provocations ou agissements illicites[18] de l’un ou plusieurs de ses membres, soit même lorsque ces derniers « propagent des idées ou des théories tendant à justifier ou encourager » ces mêmes agissements, dès lors que leurs dirigeants, bien qu’informés, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposent[19]. Désormais, les dirigeants reconnus d’un groupe de combat pourront également être interdits de diriger ou d’administrer une association pendant une dure de trois ans à compter de la date à laquelle leur condamnation est devenue définitive, prononcées sur la base des dispositions des articles L. 431-13 et suivants du code pénal consacrés aux groupes de combat ou mouvements dissous[20].

Destinée à répondre à certains événements auxquels le Gouvernement a cru bon de devoir réagir, cette loi du 24 août 2021 visait initialement à « lutter contre le séparatisme et les atteintes à la citoyenneté [française] »[21]. Dès son origine, elle a toutefois suscité une vive controverse[22], au point que la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) en France[23] ainsi que la Commission européenne[24] n’ont pas hésité à faire part de leurs inquiétudes pour les droits et les libertés civiles. Les associations doivent donc savoir qu’une procédure de dissolution administrative peut toujours faire l’objet de contestation devant la juridiction de l’ordre administratif[25].

 

Contestation de la dissolution

L’association concernée par la dissolution[26] voire l’un de ses membres[27] peut déférer au juge de l’excès de pouvoir la décision prononçant sa dissolution. En effet, et bien que la dissolution soit prononcée par décret, le recours en annulation doit être formé devant le tribunal administratif, tel que le précise le Conseil d’État. Il en va de même pour la décision implicite ou explicite de rejet opposée à une demande d’annulation formulée par une association[28].

Ce décret doit obligatoirement être motivé en application des dispositions des articles L. 211-2 et suivants du code des relations entre le public et l’administration[29] et la dissolution ne pourra intervenir qu’au terme d’une procédure contradictoire[30]. À cette occasion, le juge du fond devra s’attacher à vérifier la légalité de forme[31] et de fond du décret de dissolution. Il veillera également au respect du principe de proportionnalité en matière de sanction[32]. En effet, « la police ne [devant] pas tirer sur les moineaux à coups de canon »[33], il appartiendra au juge administratif d’envisager la dissolution administrative comme la peine envisageable la plus sévère, alors même que les sanctions administratives susceptibles d’être prises à l’encontre de l’association peuvent prendre d’autres formes : peines pécuniaires, peines privatives de droits (suspension, retrait d’autorisation ou d’agrément, fermeture d’établissement, interdiction d’exercer certaines professions…) ou encore sanctions morales (publicité donnée à une mesure de sanction par exemple).

Le juge des référés peut également être saisi d’une demande visant à suspendre l’exécution du décret portant dissolution dans l’attente de la décision au fond que le juge administratif sera amené à prononcer. Régulièrement utilisée par les associations concernées, cette procédure de référé administratif trouve son fondement juridique dans l’existence d’une situation d’urgence et permet de préserver les droits immédiats des parties concernées[34].

 

Conséquences de la dissolution prononcée

En cas de dissolution prononcée par la justice, les biens de l’association seront dévolus conformément aux statuts ou, à défaut de disposition statutaire, suivant les règles déterminées en assemblée générale[35]. L’article L. 562-1 du code monétaire et financier permet, si les faits le justifient, de faire procéder au gel des avoirs d’une association à qui l’on reproche d’avoir commis ou tenté de commettre des actes de terrorisme, de les faciliter ou d’y participer[36].

En définitive, si la dissolution administrative permet à l’État de protéger ses concitoyens des agissements illicites de certaines associations ou de leurs membres, la loi est également là pour protéger la liberté associative en empêchant toute tentative du Gouvernement de mettre arbitrairement fin aux activités d’une association pour un simple délit d’opinion.

Colas AMBLARD

Docteur en droit, avocat associé NPS consulting

 

En savoir plus :

Dissolution : vers un nouvel arsenal juridique, Colas AMBLARD, Institut ISBL décembre 2020

Avis HCVA du 2 décembre 2020

 

Références
1 Dossier « Dissolution – Chronique d’une mort annoncée », JA 2019, no 599, p. 18.
2 L. no 2021-1109 du 24 août 2021, art. 16.
3 Cons. Const., 16 juill. 1971, no 71-44 DC.
4 Pour des illustrations, v. Com. 28 nov. 2018, no 17-18.619 ; Amiens 11 mai 2017 no 15/00616.
5 CJCE 15 déc. 1995, aff. C-415/93, Rec. p. I 4921, point 79.
6 CAA Versailles 6 juin 2017, no 16VE01047.
7 Cons. const., 29 janv. 2015, no 2014-444 QPC.
8 CE 19 mai 1993, no 111630, Lebon 160.
9 Cons. const., 20 juill. 2000, no 2000-434 DC.
10 CEDH 31 juill. 2001, no 41340/98, BAF 5/02, inf. 136 ; CEDH 9 juill. 2013, no 35943/10 ; CEDH 8 oct. 2020, no 77400/14
11 CCH, art. L. 313-18.
12 CE 20 mars 1946, no 78619 A ; CE 22 janv. 1960, no 46949 B, Lebon T. 920.
13 CE, réf., 3 mai 2021, no 451743, inédit au Lebon.
14 E. Cossé, « Le Conseil d’État valide la dissolution d’une organisation anti-discrimination », www.hrw.org/fr, 27 sept. 2021.
15 Ligue des droits de l’Homme, « La dissolution du CCIF validée par le Conseil d’État : les associations en danger ! », www.ldh-france.org/fr, 8 oct. 2021.
16 CE 22 janv. 1960, préc.
17 L. no 2021-1109, préc., art. 16.
18 L’article L 212-1, 6o modifié par l’article 16 de la loi du 24 août 2021 vise « la discrimination, […] la haine, ou […] la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou religion déterminée ».
19 L. no 2021-1109, préc., art. 16 réd. C. serv. nat., art. L. 212-1-1.
20 L. no 2021-1109, préc. art. 16 réd. C. pén., art. 431-18, 1o bis.
21 Conseil des ministres, communiqué de presse, 9 déc. 2020.
22 « Loi séparatismes : la défenseure des droits pointe des « risques d’atteinte aux libertés » », www.lefigaro.fr, 13 janv. 2021.
23 « Projet de loi « séparatisme » : « une atteinte aux libertés fondamentales », selon la CNCDH », www.lefigaro.fr, 4 févr. 2021.
24 Commission européenne, « 2021 Rule of Law Report Country Chapter on the rule of law situation in France », SWD(2021) 712 final, 20 juill. 2021.
25 CE 30 juill. 2014, no 370306, AJDA 2014. 1629.
26 Sur la question de la capacité juridique d’une association dissoute, v. CE, réf., 25 nov. 2020, no 445774, AJDA 2020. 2292.
27 CE 21 juill. 1970, no 76230, AJDA 1970. 616.
28 CE 20 déc. 1995, no 159338, RTD com. 1996. 496.
29 CE 26 juin 1987, no 67077.
30 CE 30 juill. 2014, no 370306, préc.
31 Const., art. 13 et 19 ; CE 13 févr. 1985, no 44910.
32 DDH, art. 8.
33 Commentaire de la décision Kreuzberg du 14 juin 1882 par le juriste allemand Fleiner en 1912 cité par B. Stirn in Vers un droit public européen, LGDJ, 2015, 2e éd., p. 93.
34 CE 25 nov. 2020, no 445774, préc.
35 L. du 1er juill. 1901, art. 9.
36 TA Paris 21 oct. 2013, no 1216525/7-1, AJDA 2014. 168.