Association et démocratie : quand la notion d’abus de majorité pointe son nez

Association et fonctionnement démocratique : quand la notion d’abus de majorité pointe son nez

Colas AMBLARD, Docteur en droit, avocat associé

Publié in Juris-associations 15 janv. 2017, n°550, pp. 36 – 38

En matière de fonctionnement associatif, le droit des sociétés semble s’imposer comme un véritable droit subsidiaire. Est-ce vraiment positif pour la démocratie associative ?

Le fonctionnement associatif n’est pas toujours un lieu favorable à l’expression démocratique. Plusieurs raisons à cela. Parmi elles : la loi 1901 ne favorise pas a priori un tel mode de fonctionnement ; souvent, la rédaction des statuts facilite certaines dérives sur le plan de la gouvernance en raison de règles internes insuffisamment précises ou encore de la présence de présidents plénipotentiaires… Face à un tel constat, l’influence qu’exerce le droit des sociétés sur le fonctionnement des associations peut s’avérer extrêmement positif.

 

1. Loi 1901 et démocratie interne : Le mariage de la carpe et du lapin

 

1.1. Contrat associatif

La loi 1901 n’oblige pas les associations à adopter un mode de fonctionnement démocratique : elle promeut avant tout la notion de contrat associatif[1] qui, au contraire, peut venir s’opposer dans certaines situations à toute forme d’expression démocratique[2]. Tel est le cas, par exemple, lorsque les membres fondateurs ont convenu dans les statuts que les autres catégories de membres disposeront uniquement de la voix consultative ou se verront attribuer une représentation minoritaire au sein des organes de gestion de l’association[3]. Couramment utilisé, un tel mode de fonctionnement permettra ainsi aux fondateurs de conserver, dans un premier temps, la maîtrise de leur projet initial et/ou de sécuriser d’éventuels apports consentis à l’association avant peut-être d’autoriser, dans un second temps, l’ouverture progressive de la gouvernance associative à un cercle élargi de partenaires reconnus en qualité de membre. Malgré cela, l’appréciation de la légitimité d’une telle organisation statutaire diverge : certains observateurs objecteront que l’esprit associatif repose principalement sur le principe « un membre = une voix » tandis que d’autres, peut-être plus pragmatiques, considéreront que ce type d’organisation statutaire se justifie parfaitement au regard de la nature profondément contractuelle de l’association[4].

 

1.2. Droit positif

En définitive, c’est l’environnement juridique extérieur aux associations et non la loi 1901 en tant que telle qui tend à imposer à ce type de groupement de personnes un mode de fonctionnement basé sur la démocratie : tel est le cas, par exemple, lorsque l’association sollicite un agrément[5] délivré par l’État ou ses établissements publics, sa reconnaissance d’utilité publique[6], envisage de faire valoir son appartenance à la famille de l’économie sociale et solidaire (ESS)[7], ou encore de rémunérer ses dirigeants sans remise en question du caractère désintéressé de sa gestion[8].

À ce stade, il convient par conséquent de s’interroger sur l’appréhension du concept de démocratie associative par le droit positif. Abrogée par celle du 29 septembre 2015[9], la circulaire du 18 janvier 2010[10] imposait : „„

  • une réunion régulière des instances ; „„
  • le renouvellement régulier des instances dirigeantes ;
  • une assemblée générale accessible avec voix délibérative à tous les membres tels que définis dans les statuts ou à leurs représentants de structures locales ; „„
  • l’élection des membres de l’instance dirigeante par l’assemblée générale ; „„
  • pour les documents sur lesquels seront amenés à se prononcer les membres, d’en disposer suffisamment à l’avance par tout moyen (courrier, Internet, consultation sur place, etc.) précisé dans le règlement intérieur ou les statuts ; „„
  • la précision des modalités de déroulement des différents votes dans les statuts ou le règlement intérieur.

De son côté, l’administration fiscale[11] exige : „„

  • l’élection démocratique régulière et périodique des dirigeants ; „„
  • un contrôle effectif sur la gestion de l’organisme effectué par les membres de l’association.

Elle précise, par ailleurs, que le fonctionnement de l’organisme sera présumé démocratique lorsque l’association aura passé avec l’État une convention pluriannuelle d’objectifs en cours de validité. Enfin, plus récemment, la loi du 31 juillet 2014 relative à l’ESS[12] impose, pour faire partie de ce secteur, « une gouvernance démocratique, définie et organisée par les statuts, prévoyant l’information et la participation, dont l’expression n’est pas seulement liée à leur apport en capital ou au montant de leur contribution financière, des associés, des salariés et des parties prenantes aux réalisations de l’entreprise ».

 

1.3. Rédaction des statuts

Une bonne maîtrise rédactionnelle des statuts peut toutefois faire échec aux objectifs poursuivis par les pouvoirs publics en matière de démocratie associative : pour rappel, il est parfaitement légal d’attribuer statutairement la majorité des postes au sein des organes délibérants de l’association à la seule catégorie de membres fondateurs, susceptible, par ailleurs, d’être minoritaire. Ce qui peut paraître plus surprenant, c’est précisément qu’un tel mode d’organisation statutaire n’entre pas en contradiction avec les critères de démocratie imposés par les pouvoirs publics dès lors que chaque membre dispose bien de la voix délibérative et que les statuts permettent un renouvellement régulier des instances dirigeantes. En définitive, une bonne maîtrise rédactionnelle des statuts permettra aux membres fondateurs de conserver durablement la gouvernance de leur projet sans pour autant priver leur structure support des avantages que peut conférer le respect des critères démocratiques évoqués ci-avant. Dans le même ordre d’idée, l’adoption de règles statutaires spécifiques[13] pour faire échec à la mise en œuvre d’une procédure ad nutum14 ou encore la limitation des mandats de représentation des membres sont autant de techniques qui permettent de sécuriser la situation des membres fondateurs.

Dans ces conditions, il convient de s’interroger sur l’efficacité de la sacro-sainte règle « un membre = une voix » en tant qu’outil de régulation de la démocratie interne des associations. Et, de ce point de vue, la formule de Montesquieu[15] – « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser […]. Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la même disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » – revêt une acuité toute particulière en droit des associations dans la mesure où l’on s’aperçoit que les statuts peuvent, en réalité, cristalliser en toute légalité un rapport de force particulièrement favorable à une catégorie minoritaire de membres. C’est précisément à ce stade que l’influence du droit des sociétés peut, en dehors de toute situation de blocage des organes délibérants[16], s’avérer bénéfique dans le rééquilibrage du fonctionnement démocratique des associations.

 

2. L’influence du droit des sociétés dans le fonctionnement associatif démocratique

 

2.1. Droit des sociétés : un danger pour la spécificité associative ?

La reconnaissance par les tribunaux civils du rôle supplétif du droit des sociétés dans l’organisation des associations peut constituer une menace pour la spécificité associative : l’influence du droit des sociétés dans l’organisation interne des associations n’est pas nouvelle, mais cette tendance de la jurisprudence à faire jouer un rôle subsidiaire ou supplétif au droit des sociétés à l’égard des associations ne se manifestait que lorsque les statuts étaient muets sur des points litigieux. Suite à une série d’arrêts rendus en 1982[17], le député René André interrogea le ministre de la Justice pour savoir si, par extension, les dispositions du code civil relatives au droit des sociétés pouvaient s’appliquer aux associations, « étant rappelé que lorsque les statuts d’une association sont imprécis, il est fait référence aux règles de droit commun des sociétés »[18]. De son côté, la Cour de cassation[19] décida de maintenir le cap : « la Cour de cassation vient d’approuver la solution d’une cour d’appel selon laquelle, en l’absence de dispositions de la loi du 1er juillet 1901 et de clauses statutaires concernant la tenue des assemblées, les règles applicables sont celles prévues par la loi du 24 juillet 1966 relative aux sociétés commerciales ». Pour aussi intéressant qu’il soit, cet arrêt recèle un danger évident : celui de remettre en question l’essence même du contrat d’association[20] en ne respectant pas la spécificité d’un groupement dont les objectifs sont à l’opposé de ceux de la société. Il importe donc d’être particulièrement vigilant au regard de ce qui, incontestablement, peut constituer une dérive.

 

2.2. Abus de majorité et droit des associations

L’introduction de la notion d’abus de majorité emprunté au droit des sociétés peut néanmoins avoir un impact positif sur le fonctionnement associatif : dans une décision en date du 4 avril 2006[21], la Cour de cassation livre un exemple d’abus de majorité, notion nouvelle en droit des associations. Les faits sont les suivants : une grande enseigne commerciale, propriétaire du centre commercial, donnait à bail des emplacements qu’elle n’occupait pas elle-même. De façon classique, tous les commerçants du site étaient tenus d’adhérer à une association. Les cotisations statutaires des locataires s’élevaient à 10,5 % du loyer garanti, tandis que celles des sociétés, membres fondateurs, étaient égales au montant total des précédentes. Dans cette décision étaient en cause les modalités de gestion d’un centre commercial. En effet, lors d’une assemblée générale de l’association, il avait été décidé que, dorénavant, les cotisations locatives seraient calculées au prorata des millièmes occupés, celles des deux membres fondateurs étant plafonnées respectivement à 800 000 et 200 000 francs. Un recours contre cette décision était déposé par un des membres, preneur à bail pour quatre établissements de restauration dans le centre, minoritaire lors de ce scrutin. À l’appui de son assignation en annulation, ladite société invoquait l’existence d’un « abus de majorité » et la cour d’appel d’Aix-en-Provence lui donna raison. La Cour de cassation a décidé de confirmer l’arrêt rendu par les juges du fond et le pourvoi formé contre la décision rendue en appel a été rejeté. Cette décision est intéressante à plus d’un titre : „„

  • en premier lieu, l’atteinte à « l’intérêt collectif » se substitue, ici, à « l’atteinte à l’intérêt social », notion bien connue en droit des sociétés[22] ; „„
  • en second lieu, cette notion d’intérêt collectif apparaît distincte de la volonté exprimée par la majorité.

L’abus de majorité est donc caractérisé en présence de deux conditions cumulatives : „„

  • une méconnaissance de l’intérêt collectif de l’association, dépassant la simple opposition d’intérêts ; „„
  • une rupture d’égalité entre les membres au préjudice d’un certain nombre d’entre eux.

Lorsqu’il est caractérisé, l’abus de majorité est d’abord sanctionné par l’annulation rétroactive de la décision abusive. Il pourra ensuite donner lieu au versement de dommages et intérêts sur le fondement de l’article 1240 du code civil[23].

Ainsi, on le voit, la Cour de cassation donne une parfaite illustration de ce que le droit des sociétés s’impose comme un véritable droit subsidiaire en matière de fonctionnement associatif. D’abord inquiétante, cette tendance des juridictions peut finalement s’avérer positive. En permettant aux juges de s’immiscer dans des contrats de droit privé qui, normalement, « tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits »[24], nul doute qu’elle trouvera à s’appliquer dans de nombreuses situations intéressant le fonctionnement des associations. „

Article de Juris-associations n° 550 du 15 décembre 2016. Reproduction interdite sans l’autorisation de Juris éditions © Éditions Dalloz – www.juriseditions.fr

 

L’essentiel  :

La loi 1901 n’oblige pas les associations à adopter un mode de fonctionnement démocratique.
C’est l’environnement juridique extérieur aux associations qui tend à leur imposer un mode de fonctionnement basé sur la démocratie.
L’introduction de la notion d’abus de majorité, empruntée au droit des sociétés, peut avoir toutefois un impact positif sur le fonctionnement associatif.

 

Notes :

1. L. du 1er juill. 1901, JO du 2, art. 1er.

2. Au sens de l’accès aux fonctions dirigeantes rendu possible pour l’ensemble des membres.

3. Conseil d’administration, voire bureau.

4. C. Amblard, « Cent ans de pratique associative : un point de vue juridique », XVIe colloque de l’Addes, 7 juin 2001, intervention publiée in Revue internationale de l’économie sociale, no 282, 2001, p. 33-41, § 25 et no 283, 2002, p. 32-45.

5. L. no 2000-321 du 12 avr. 2000, JO du 13, art. 25-1, mod. par ord. no 2015904 du 23 juill. 2015, JO du 24, art. 3.

6. Rép. min. à A. Wojciechowski, JOAN Q du 4 mars 2008, no 6621.

7. L. no 2014-856 du 31 juill. 2014, JO du 1er août, art. 1, I, 2o.

8. BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP-10-50- 10-20 du 12 sept. 2012, § 200 et 210.

9. Circ. no 5811/SG du 29 sept. 2015, v. dossier « Pouvoirs publics et associations – Le 2e temps de la Valls », JA no 533/2016, p. 16.

10. Circ. NOR : PRMX1001610C du 18 janv. 2010, JA no 432/2011,

11. BOFiP-Impôts, BOI-IS-CHAMP- 10-50-10-20, préc.

12. L. no 2014-856, préc., art. 1, I, 2o.

13. Civ. 1re, 25 févr. 2010, no 08-22.066, à propos d’un autre type de mandat ; v. égal. Civ. 1re, 5 mars 1968, no 66-11.776.

14. C. civ., art. 2004.

15. Montesquieu, De l’esprit des lois, 1748, livre XI, chap. IV.

16. A. tezza, C. Amblard, « Nomination d’un administrateur provisoire en association : mode d’emploi », Lamy associations actualités, no 246, mars 2016, p. 2.

17. Tgi Saint-étienne, 3 sept. 1982, LPA 1986, no 34, p. 18, note Sousi ; Lyon, 13 oct. 1982, LPA 1986, préc., confirmation de tGI Saint-étienne.

18. Rép. min. à R. André, JOAN Q du 8 oct. 1984, no 56969.

19. Civ. 1re, 29 nov. 1994, no 92-18.018.

20. La loi 1901 impose l’interdiction de partage des bénéfices entre les membres (art. 1er).

21. Civ. 1re, 4 avr. 2006, no 03-13.894.

22. d. Schmidt, Les Conflits d’intérêts dans la société anonyme, joly éditions, 2004, nos 318 et s. 23. C. civ., art. 1382, anc., mod. par ord. no 2016-131 du 10 févr. 2016, JO du 11, art. 2. 24. C. civ., art. 1103.

 

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