Centres de santé associatifs : un remède à la désertification médicale

Confrontés au manque d’accès aux soins de proximité, les collectivités territoriales, les mutuelles, voire certains investisseurs privés n’hésitent plus à impulser la création de centres de santé sous forme associative. Décryptage.

Le phénomène de création de centres de santé associatifs, actuellement en pleine expansion en France, contribue largement à la revitalisation des territoires et bouleverse l’offre de santé traditionnelle. Largement décriés par le système de soins classiques libéral, les centres de santé associatifs offrent pourtant une alternative crédible puisque soumis à un double contrôle : par les agences régionales de santé (ARS) pour ce qui concerne le fonctionnement interne de la structure – hygiène et sécurité – et par les ordres professionnels pour ce qui concerne le personnel soignant – compétence et déontologie.

 

Rappel contextuel

Dans certains territoires, le constat est alarmant. Les collectivités territoriales sont de plus en plus confrontées au manque d’accès aux soins de proximité. En cause, les départs massifs de médecins établis à la fin des années 1970, le niveau insuffisant du numerus clausus qui a été révisé tardivement par la loi Santé de 20191) ainsi qu’une offre de santé publique réduite par des années de coupes budgétaires. Médecins, dentistes ou encore ophtalmologistes : toutes les professions médicales font défaut sur une grande partie du territoire national au point que, aujourd’hui, ce sont près de 3,8 millions de Français qui vivent dans un désert médical et ne peuvent consulter plus de deux fois par an un praticien2). Et contrairement aux idées reçues, le phénomène ne touche pas que les zones rurales reculées. Selon une étude de 20183), les régions les plus touchées sont l’Île-de-France, le Centre-Val de Loire et les territoires ultra-marins. Pour certains observateurs, la problématique d’accès aux soins « s’inscrit dans une problématique plus globale d’aménagement du territoire »4). Pour d’autres, le regroupement de professionnels de santé au sein de communautés constitue le seul moyen efficace pour réduire les difficultés d’accès aux soins dans certaines zones particulièrement touchées5) .

C’est dans ce contexte que le législateur6) a encouragé dès 2018 la création de centres de santé7), soit mono, soit pluri-professionnels. Depuis lors, on recense en France plus de 2 000 créations de centres de soins dentaires, ophtalmologiques ou encore de centres dits « polyvalents » car regroupant différentes professions médicales (médecins, pédiatres, etc.) et paramédicales (infirmières, masseurs- kinésithérapeutes, etc.). En définitive, cette évolution récente et profonde de notre système de soins n’a rien d’étonnante dans la mesure où la santé s’impose depuis quelque temps déjà comme l’une des préoccupations majeures des Français8).

 

Quel régime juridique et fiscal ?

La création de centres de santé nécessite une expertise particulière dans la mesure où ces organismes doivent répondre à un nombre important de contraintes juridiques et peuvent être soumis à des régimes fiscaux très différents selon la nature des soins dispensés, la qualité de leurs fondateurs ainsi que la nature des objectifs qu’ils poursuivent.

Régime juridique

Le processus de création des centres de santé est, depuis 20189), fondé sur un régime déclaratif auprès des directeurs des ARS géographiquement compétentes et repose sur le respect d’un mode opératoire juridique devant être parfaitement maîtrisé10).

Qui peut créer un centre de santé ? Les centres de santé sont créés et gérés soit par des organismes à but non lucratif (associations, fondations), soit par des collectivités territoriales, soit par des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), soit par des établissements publics de santé, voire par des personnes morales gestionnaires d’établissements privés de santé à but lucratif ou non11. Un centre de santé peut également être créé et géré par une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) régie par la loi du 10 septembre 194711) portant statut de la coopération.

Quid des missions statutaires ? En application de l’article L. 6323-1 du code de la santé publique, les centres de santé sont des structures sanitaires de proximité dispensant des soins de premier recours12) et, le cas échéant, de second recours, tout en pratiquant des activités de prévention, de diagnostic et de soins, au sein du centre ou au domicile du patient. En outre, les centres de santé peuvent notamment13) : „„

– mener des actions de santé publique, d’éducation thérapeutique du patient ainsi que des actions sociales, notamment en vue de favoriser l’accès aux droits et aux soins des personnes les plus vulnérables ou à celles qui ne bénéficient pas de droits ouverts en matière de protection sociale ;

– contribuer à la permanence des soins ambulatoires;

– constituer des lieux de stages, le cas échéant universitaires, pour la formation des professions médicales et paramédicales.

Nature des soins. En vertu des dispositions du décret du 30 juillet 201014), les centres de santé peuvent fournir des consultations ou prodiguer des actes de prévention, d’investigation, ainsi que des actes médicaux, paramédicaux, dentaires ou ophtalmologiques15). À l’inverse, ils ne peuvent pas pratiquer l’anesthésie ou la chirurgie ambulatoire16) et les soins dispensés doivent permettre un retour immédiat du patient à son domicile, sans qu’il soit nécessaire d’assurer une surveillance au centre ou après le retour au domicile. Par conséquent, ces organismes de santé doivent assurer des activités de soins sans hébergement.

Public bénéficiaire. En application du dernier alinéa de l’article L. 6323-1 du code de la santé publique, « les centres de santé sont ouverts à toutes les personnes sollicitant une prise en charge médicale ou paramédicale relevant de la compétence des professionnels y exerçant. »

Ces dispositions qui traduisent une politique de santé visant à assurer un égal accès à tous signifient qu’il n’est pas possible pour un centre de santé de réserver son offre de soins, quelle qu’elle soit, à une patientèle strictement ciblée. Pour autant, cela n’interdit pas qu’un projet de santé puisse prévoir des prises en charge plus spécifiquement orientées vers certains patients, mais à deux conditions : „„

– d’une part, que cette prise en charge n’exclue pas celle d’autres patients ne présentant pas les mêmes caractéristiques : son offre de soins doit s’adresser à tout patient, quels que soient son âge, sa catégorie sociale, son sexe, son origine, son orientation sexuelle, son lieu de travail ou toute autre particularité. Une telle exclusion correspondrait à un refus de soins illégitime au sens de l’article L. 1110-3 du code de la santé publique : quelles que soient les circonstances, la continuité des soins doit être assurée, sauf les cas particuliers de refus de soins licites pour raisons professionnelles ou personnelles dans les conditions posées à l’article R. 4127-47 du code de la santé publique ;

– d’autre part, que le lieu de soins soit clairement identifié à l’extérieur du centre de santé.

De la même façon, ce type de structure ne peut pas adopter des modalités de fonctionnement ou d’organisation qui le sous- traient de facto aux sollicitations de tout ou partie d’une catégorie de patients17). Par exemple, un centre de santé qui regrouperait des médecins et/ou des infirmiers ne pourrait pas limiter son activité à la dispensation de soins uniquement dans ses locaux. Pour éviter cet écueil, il devra impérativement proposer une offre de soins « à domicile ».

Mode de gestion non lucratif. Il découle de l’article R. 4127-215 du code de la santé publique le principe général selon lequel une activité de soins « ne peut être pratiquée comme un commerce ». Cela étant, un centre de santé associatif peut néanmoins, de façon légitime et sans aucune limite, dégager des bénéfices pour peu que ceux-ci ne donnent pas lieu à distribution18). Cette capacité a par ailleurs été précisée dans une réponse ministérielle en date du 11 septembre 201819) : « À cette fin, l’ordonnance du 12 janvier 2018 […] garantit […] le caractère non lucratif de la gestion des centres en interdisant, à tout gestionnaire, quel que soit son statut, de partager entre les associés les bénéfices de l’exploitation de leurs centres ». Les bénéfices doivent donc être mis en réserve ou réinvestis au profit du centre de santé concerné ou d’un ou plusieurs autres centres de santé ou d’une autre structure à but non lucratif, gérés par le même organisme gestionnaire20).

Régime fiscal

L’identification du régime fiscal applicable n’est pas aisée en ce que celui-ci peut différer en fonction de la nature du centre de santé. En tout état de cause, il doit également être parfaitement maîtrisé afin d’éviter toute action en concurrence déloyale, de la part d’un concurrent mais aussi des ordres professionnels21) qui tentent désespérément de s’opposer au développement rapide de ce nouveau mode d’exercice professionnel22). S’agissant spécifiquement des centres de santé associatifs, les activités de soins exercées entrent dans le champ d’application de l’impôt sur les sociétés23), mais uniquement lorsqu’il pourra être démontré que ces derniers adoptent une démarche globalement lucrative au sens fiscal du terme24). Aussi, afin d’éviter tout risque d’assujettissement, lesdits centres devront avoir une gestion désintéressée25) et exercer leurs activités dans des conditions différentes de celles proposées par la médecine libérale au regard des critères de la règle dite des « 4P » portant sur le « produit », le « public », le « prix » et la « publicité ».

Produit. L’activité de soins dispensée par un centre de santé peut être de nature à satisfaire un besoin insuffisamment ou non pris en compte par le marché existant, c’est-à-dire par les cabinets libéraux notamment. Cette approche pourra toutefois être tempérée si précisément l’activité ne s’exerce pas dans ce qu’il convient de nommer un « désert médical ». Pourront également être reconnues comme étant d’utilité sociale26) les activités de permanence de soins ou d’urgence médicale, les activités de recherche ainsi que les actions d’accompagnement social autour des patients.

Public visé. Un centre de santé doit par nature être ouvert à tous les publics. En revanche, ce critère peut constituer un indice de conformité avec une approche d’utilité sociale27) lorsque cette structure de soins se donnera pour mission de répondre exclusivement aux besoins de personnes fragiles ou en difficulté – revenu de solidarité active (RSA), couverture maladie universelle (CMU).

Prix pratiqués. Les honoraires pratiqués par un centre de santé sont normalement identiques à ceux du secteur libéral puisque, et au moins pour ce qui concerne les actes de premier recours, leur paiement est subordonné au tarif homologué par le gouvernement et imposé par la nomenclature de la Sécurité sociale gérée par la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM). Concernant ces actes principaux, les centres de santé sont tenus de pratiquer le mécanisme du tiers payant mentionné à l’article L. 160-10 du code de la Sécurité sociale et de ne pas facturer de dépassements des tarifs fixés par l’autorité administrative ou des tarifs mentionnés à l’article L. 162-14-1, I, 1o du code de la Sécurité sociale28). Le critère du prix pourra également être appréhendé au regard des actions de prévention et d’éducation sanitaire ou d’accompagnement médico-social, voire en fonction du volume d’actes de second recours, hors nomenclature, réalisés par le centre dès lors que ces activités ne sont pas couvertes par le principe de tarification homologuée ou de tiers payant.

Publicité commerciale. Sur le plan juridique, la publicité commerciale en faveur des centres de santé est par principe inter- dite29). Cependant, une décision du Conseil d’État en date du 6 novembre 201930) a permis, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, de préciser les contours de cette interdiction en enjoignant le ministre de la Santé d’annuler le cinquième alinéa de l’article R. 4127-215 du code de la santé publique ainsi que la seconde phrase du premier alinéa de l’article R. 4127-225 du même code au motif qu’ils interdisaient « tous procédés directs ou indirects de publicité » et « toute publicité, toute réclame personnelle ou intéressant un tiers ou une firme quelconque ». Cette réglementation apparaît en tout point conforme avec le régime fiscal applicable aux centres de santé dans la mesure où une distinction est faite entre publicité commerciale et opération de communication à destination du public31). Un centre de soins dentaires peut donc en toute sécurité se borner à réaliser des opérations de communication portant sur les prestations qu’il propose – à partir de son site Internet par exemple – sans que cela ne constitue un indice de lucrativité.

Ainsi, le régime fiscal du centre de santé dépend pour une large part de l’orientation donnée à ses activités de premier et de second recours. Or, dans les faits, cette orientation est très généralement dictée en fonction de la qualité des membres fondateurs : s’ils sont des investisseurs privés, le centre devra le plus souvent se déclarer en qualité d’organisme assujetti à l’impôt sur les sociétés peu de temps après son ouverture ; à l’inverse, s’ils sont des associations, des mutuelles, des collectivités territoriales ou encore des SCIC, la nature des soins dispensés pourra éventuellement permettre au centre de conserver son statut d’organisme non assujetti.

Le boom des centres de santé : pourquoi un tel succès ?

Comme évoqué précédemment, dans certains territoires insuffisamment pourvus en structures médicales ou paramédicales, beaucoup de besoins exprimés par les patients demeurent sans réponse. Mais un certain nombre d’autres raisons peuvent être avancées : „„

– la première tient au fait que de plus en plus de soignants souhaitent désormais exercer leur profession sans avoir à subir en plus la contrainte administrative ou de gestion lorsque l’on exerce au sein d’un cabinet libéral. Or les centres de santé ne peuvent employer que des praticiens salariés32) ;

– la deuxième raison est relative à la pluralité des personnes physiques ou morales susceptibles d’impulser ce type de projet, que ce soient des investisseurs privés, des organismes d’économie sociale et solidaire (ESS)33), voire des établissements publics ou des collectivités territoriales.

S’agissant de ces dernières, la création d’un centre de santé à dominante pluri-professionnelle, c’est-à-dire associant des professionnels médicaux et/ou paramédicaux, constitue aussi et surtout un moyen efficace en matière de revitalisation des territoires ruraux ou péri-urbains. Pour ce faire, certaines communes ou communautés de communes n’hésitent plus désormais à embaucher directement des professionnels de santé – en les rémunérant conformément à la grille de la fonction publique hospitalière, voire bien au-delà34) – et, au besoin, à faire jouer leur droit de préemption35) afin de pouvoir disposer de locaux parfaitement adaptés au développement de ce type d’activités. „

 

Colas AMBLARD

Docteur en droit

Avocat associé NPS consulting

 

En savoir plus : 

Cet article a fait l’objet d’une publication dans le Juris Associations n° 620 du 1 juillet 2020

La création d’un centre de soins ophtalmologiques : mode d’emploi, 25 octobre 2018

Centres de soins dentaires associatif : un schéma toujours attractif, 28 juin 2018

Créer un centre de soins dentaires sous forme associative : c’est possible !, 25 septembre 2015

Références :

 

1. L. no 2019-774 du 24 juill. 2019,
JO du 26, JA 2019, no 604, p. 7.
2. F. Beguin, « Près de 3,8 millions de Français vivent dans un désert médical », LeMonde.fr, 14 févr. 2020.
3. Observatoire régional de santé Île-de- France, « Les déserts médicaux en Île-de-France », mars 2018 ; v. égal. F. Beguin, L. Clavreul, M. Costil, S. Gittus, E. Dumas, « Accès aux soins : des territoires aban- donnés », LeMonde.fr, 30 mars 2017.
4. Ibid.
5. F. Beguin, « Olivier Lacoste : “Depuis 10 ans, l’État n’a rien obtenu de tangible contre les déserts médicaux” », LeMonde.fr, 27 févr. 2019.
6. Ord. no 2018-17 du 12 janv. 2018, JO du 13, JA 2018, no 572, p. 7, obs. S. Zouag.
7. CSP, art. L. 6323-1 et s.
8. F. Beguin, « Préoccupation majeure des Français, la santé s’impose dans le grand débat », LeMonde.fr, 27 févr. 2019.
9. Ord. no 2018-17, préc. ; CSP, art. L. 6323-1-11, al. 2.
10. CSP, art. L. 6323-1 et art. D. 6323-9 : projet de santé, règlement de fonctionnement et engagement de conformité, assurance responsabilité civile.
11. L. no 47-1775 du 10 sept. 1947, JO du 11, titre ii. Par dérogation à l’article 19 septies de cette loi, les seules personnes morales pouvant être associées au sein d’une telle SCIC ne peuvent être que celles mentionnées au premier alinéa de cet article (v. note précédente).
12. La notion de soins de premier recours ne fait l’objet d’aucune définition légale ou réglementaire. Toutefois, l’article L. 6323-1, alinéa 3 du CSP dispose que « tout centre de santé, y compris chacune de ses antennes, réalise, à titre principal, des prestations remboursables par l’assurance maladie ». Pour plus de précisions : v. Direction générale de l’offre de soins, ministère des Solidarités et de la Santé, « Guide relatif aux centres de santé », p. 4.
13. CSP, art. L. 6323-1-1.
14. Décr. no 2010-895 du 30 juill. 2010, JO du 31.
15. CSP, art. D. 6323-1.
16. CSP, art. D. 6323-3 : ils peuvent assurer un ou plusieurs de ces types de soins et participer à des actions de formation et de recherche.
17. Arr. du 27 févr. 2018, JO du 1er mars, texte no 32, art. 2, iV, 6o.
18. L. du 1er juill. 1901, art. 1er ; CSP, art. L. 6323-1-4.
19. rép. min. à B. Sorre, JOAN Q du 11 sept. 2018, no 9063.
20. CSP, art. L. 6323-1-4.
21. Montpellier, 22 mars 2016, n° 14/03756 (inédit) ; Paris, 18 févr. 2016, no 13/191001 (inédit).
22. C. Amblard, La Gouvernance des entreprises associatives, Juris éditions – Dalloz, coll. « Hors-Série », 2019, nos 159 et s. : entre 2011 et 2016, le nombre de centres de santé dentaire a progressé de 25 % (source iGAS, « Les centres de santé dentaire : propositions pour un encadrement améliorant la sécurité des soins », rapp. t. 1, janv. 2017, p. 3).
23. CGi, art. 261, 4, 1o : les activités de soins médicaux sont non assujetties à la TVA.
24. BOFiP-Impôts, BOi-iS-CHAMP- 10-50-10-20 du 7 juin 2017.
25. CGi, art. 261, 7, 1o, d).
26. C. Amblard, La Gouvernance des entreprises associatives, préc., n° 185, 187 et 233.
27. JA 2020, n° 613, p. 37, étude C. Amblard.
28. CSP, art. L. 6323-1-7.
29. CSP, art. L. 6323-1-9, al. 2, et art. r. 4127-215 à r. 4127-18.
30. CE 6 nov. 2019, no 420225 (inédit). 31 juill. 2014, JO du 1er août.
31. BOFiP-impôts, BOi-iS-CHAMP- 10-50-10-20, préc., § 670 à 710.
32. CSP, art. L. 6323-1-5.
33. L. no 2014-856 du 31 juill. 2014, JO du 1er août.
34. D. rosenweg, « “8 000 euros pour 35 heures” : la surenchère des maires en quête de médecins », LeParisien.fr, 17 nov. 2018.
35. C. urb., art. L. 210-1 et L. 300-1.